Une journée de recherche

Suivant l'idée de Celui, voici un "rapport de gendarmerie" pour essayer d'expliquer en quoi peut consister une journée d'un doctorant.

10h15 Arrivée au labo. Lecture des nouveaux mails : du spam et des mailing-lists de recherche. Ma technique de gestion des mails : je ne lis que si cela me semble intéressant, et je ne tiens compte des mails administratifs qu'en cas d'urgence (si quelque chose est important, on aura toujours un mail de rappel).
10h30 Je constate que Celui a déjà bien avancé son rapport de gendarmerie.
10h40 Consultation de mon Netvibes : lire des blogs, ça permet de se détendre un peu, ce qui n'est pas négligeable vu le stress qu'occasionne la recherche.
10h45 Pas grand chose à lire, tant mieux, ça évite de perdre trop de temps avant de se mettre vraiment au boulot. Je suis dans une période programmation. Comme mon domaine de recherche est le TALN (traitement automatique des langues naturelles) du point de vue informatique, j'ai pas mal programmé en Perl ces dernières années (et oui, les expressions régulières, c'est très pratique pour les problèmes linguistiques), mais ce n'est pas ce qu'il y a de mieux pour faire un vrai projet. Une part importante du travail, c'est de chercher les outils existants qui faciliteront la résolution du problème : j'ai trouvé une très bonne librairie C++, il reste à l'utiliser. Mais cela fait 4 ans que je n'avais pas utilisé ce langage, donc là, je galère.
11h10 #@!&* de langage fortement typé !
11h24 Je n'entends que le bruit des ventilos des PC (on travaille quasiment tous sur Mac, mais on a aussi des PC Linux). Entre ceux qui enseignent et ceux qui, comme moi, préfèrent travailler la porte à peine entrouverte (pour dire "je suis là mais ne venez pas me déranger pour rien"), ça fait un peu mort.
11h36 Quand son collègue de bureau n'est pas là, ça permet de lâcher à haute voix les gros mots qui viennent à l'esprit quand on n'arrive pas à résoudre son problème.
11h58 On tape à ma porte : quelqu'un souhaite trouver un chercheur dont je ne connais pas le nom, on comprend vite la méprise : il est au bon étage du bon bâtiment, mais pas au bon UFR (informatique au lieu de chimie).
12h03 Mon labo, résultat d'une fusion récente, compte plusieurs centaines de chercheurs (permanents ou en doctorat). Donc on a une bonne équipe qui s'occupe des ressources informatiques et de leur sécurité.
12h18 Je consulte les stats de mon blog, je vois quelqu'un est venu de celui de Valerio Motta, j'en profite pour le visiter. Comme Valério ou cet affreux ségoléniste de Dagrouik, mon blog a été visité jeudi dernier par une machine du réseau de la présidence de la République, mais je n'ai pas trouvé qu'il y ait un intérêt à en faire une note.
12h47 J'ai faim.
14h11 Retour au labo. Il fait grand soleil dehors, aucun nuage devant les montagnes. Vue sur les Alpes (massif de Belledonne) par la fenêtre, c'est un des avantages de Grenoble. "Au bout de chaque rue une montagne" disait Stendhal sur cette ville qui l'a vu naître (le revers de la médaille, c'est que cela forme une cuvette qui retient la pollution). Le confort du travail, ça compte aussi.
14h53 Toujours pas grand monde ici. La plupart des doctorants de l'équipe sont étrangers (Chine, Thaïlande, Vietnam, Tunisie, Pakistan, et sûrement d'autres), le plus souvent avec des bourses de leur pays d'origine. Les doctorants français peuvent avoir une bourse du ministère de la recherche (c'est mon cas), mais le nombre est relativement limité. Les autres font une thèse CIFRE, financée par une entreprise, où ils travaillent une bonne partie de la semaine.
Généralement, les doctorants étrangers rentrent dans leur pays après avoir obtenu leur doctorat, c'est pourquoi il n'y a qu'une seul chercheuse permanente étrangère (japonaise).
15h27 Je maudis le C++.
16h00 Un chercheur doit savoir identifier précisément le problème ou l'erreur, et doit toujours garder à l'esprit qu'il y a au moins 97% de chance d'en trouver la solution sur internet (dans des articles, des documentations, ou des listes de discussion) ; il retrouve alors un problème habituel : savoir trier les informations. Là, je trie.
16h27 Deux doigts coupe faim pour tenir jusqu'à la fin de la journée.
16h31 Quand on ne comprend pas, autant imprimer le truc et faire des petits dessins à côté (non, pas des petits dessins comme quand on s'ennuie en cours, mais des petits dessins pour avoir une vue concrète du problème). Et ne venez pas m'embêter avec les arbres coupés pour ça, moi j'imprime toujours 2 par page et recto-verso.
17h31 Ca avance, youpi !
17h49 Je viens de passer quelques secondes en mode "réflexion en regardant par la fenêtre". En ramenant mon regard vers la pièce, je me rends compte d'un certain contraste. On utilise des ordinateurs relativement récents, mais les vestiges du XXème siècle s'empilent dans les armoires : vieux rapports, disquettes, câbles obsolètes, etc. Et même un Apple Powerbook 170 plein de poussière. Quant aux locaux, ils doivent dater de la construction du campus de Grenoble au début des années 60.
18h06 Je devrais remplir ma charte de thèse pour cette nouvelle année. Mais, de toute façon, mes encadrants sont absents. Cela attendra donc demain, même pour le blabla purement administratif.
18h16 Oh, tiens, au fait, ça fait deux ans et un jour que je suis doctorant. Donc, plus qu'un an de financement. Cela incite à bosser, même si des fois j'ai peur de ne pas arriver à finir dans les temps. C'est pas facile de se dire un jour "bon, j'arrête de réfléchir sur le problème, maintenant je ne fais plus que de la mise en œuvre", mais il faut le faire, sinon on n'a jamais rien de vraiment concret à présenter. Cela doit faire deux semaines que je ne réfléchis plus.
18h43 Derniers efforts de la journée pour avancer.
18h58 Désolé, je ne ferais pas une fin si spectaculaire que celle de Celui. Pas d'explosion, rien. Je pars d'habitude aux alentours de 18h30. Si c'est une journée où je désespère et j'ai l'impression de ne plus avancer, je pars plus tôt. Si je suis content de moi, que je sens que j'avance, je traine un peu... C'est le cas aujourd'hui, coup de chance, ça me permet de faire plus sérieux ^^

Commentaires

  1. C'est important les dessins, y'en a même qui en ont fait une théorie : http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_cat%C3%A9gories

    (Après faut voir la gueule de la théorie...)

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  2. affreux segoléniste de Dagrouik, non mais dites donc vil fabiusien :o)

    L'intéret de la note, c'est que c'est un piège à con: d'autres administrations ce sont connectées sur ce billet et je récupère les adresse IP pour identifier ces lecteurs d'un genre un peu particulier. Ca pourra servir à d'autres.

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  3. A propos de la note de 12 h 18. Moi, j'ai eu la visite de Jacques Chirac sur mon blog, hier. Il a frappé à la porte de mon appartement. Je l'ai fait entrer. Il m'a dit: "Bonjour, mon cher compatriote, je viens sur votre blog." Je lui ai répondu: "Pas la peine de passer par la porte." Et lui: "Si, si, j'insiste; Eric." Eh bien, je n'en ai pas parlé sur mon blog. Si on devait tout dire ça deviendrait Alerte people.

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  4. "#@!&* de langage fortement typé !"

    Ah ah ^^ MORT-DE-RIRE (en retard :) ).

    Moi qui croyait naïvement que les gens faisant du langage codaient en Caml... Bref, t'as mon email si t'as besoin d'aide, maintenant :p (mais utilise Caml, voyons ! Moi chuis obligé d'utiliser ce langage minable à moitié typé parce que l'ingénieur moyen est un neuneu profond...)

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  5. @palpatine, qu'est-ce tu viens troller.
    Caml = bien
    C++ = mal.
    Xavier Leroi = Dieu
    Strousrupt = Nazi.

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  6. Caml, j'en ai fait au premier semestre de ma 2ème année de DEUG. Y avait des librairies en Objective Caml pour faire ce que je veux faire. Mais y avait aussi une librairie C++ vachement plus complète et évoluée.

    Sinon, à Grenoble, on utilise pas mal Prolog : Colmerauer a fait sa thèse ici

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  7. hhhmmm... binding ? Franchement, C++, c'est un nid à erreurs ; je m'arrache les cheveux en ce moment même sur du code pondu par des ingénieurs manifestement incompétents en C, qui se sont risqués sur du C++ ; un vrai défilé d'horreurs, à fuir, ce machin, si l'on n'est pas certain de ses propres capacités avancées en la matière (alors que Caml, ça c'est un vrai langage, avec pattern matching intégré, et véritable typage ; le C++ en comparaison, il te considère un bool comme un int sans rien te dire, par exemple...)

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  8. Retrolien manuel aidé par versac http://www.francedemocrate.info/spip.php?breve190

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