Alain Finkielkraut

EDIT : mon article consacré aux propos de Finkielkraut qui font scandale : "Finkielkraut, Haaretz et les "black-black-black""

Elle est belle, cette photo d'Alain Finkielkraut. Les yeux fermés, les poings fermés prêts à s'abaisser pour soutenir son discours, l'image du philosophe qui veut que l'on comprenne son message… Les gens avec qui je discute de sujets politiques l'auront peut-être remarqué, je le cite souvent au cours de mon argumentation. Il faut dire aussi que c'est le seul philosophe, et un des seuls intellectuels en général, dont je partage la majorité des opinions.

La plupart des intellectuels, en tout cas de ceux qu'on invite dans les medias, peuvent être classés dans l'une des deux mouvances de pensée suivantes : l'alter-mondialisme "déviant" (anti-américain, anti-sionniste et très indulgent quant à l'islamisme) ou le néo-conservatisme (bushiste, et très indulgent sur les dérapages des armées américaines ou israéliennes). Gauchistes contre anciens gauchistes (Irving Kristol, un des premiers néo-con -ce n'est pas une insulte de ma part, c'est un diminutif courant aux États-Unis !- disait avec humour qu'"un néoconservateur est un homme de gauche qui a été agressé par la réalité"). Terrorrisme intellectuel contre terrorrisme intellectuel : pour les premiers, quiconque soutient Israël est un sionniste extrêmiste, quiconque critique l'islamisme est un affreux raciste, pour les seconds, quiconque critique Bush ou Sharon est un affreux antisémite : chaque camp accuse à juste titre l'autre de pratiquer cette Terreur, mais la pratique lui-même. Manichéens contre manichéens : les premiers accusent des pires maux tout ce qui est occidental, les seconds tout ce qui est oriental. Et chacun de ces courants de pensées a "ses" intellectuels : Bourdieu et Chomsky d'un côté, Glücksmann, Millière et Goupil de l'autre.

Finkielkraut est l'un des rares à ne pas avoir cédé dans ces excès. Bien sûr, il a commis quelques erreurs de parcours, la plus célèbre étant la critique "en aveugle" de Underground d'Emir Kusturica : lui qui a été parmi les premiers à chercher à alerter l'opinion publique sur le sort des Croates (avec son livre Comment peut-on être croate ?, Gallimard, 1992) durant la guerre de Yougoslavie, avait cru comprendre que ce film cherchait à excuser les agissements des Serbes et avait été révolté qu'on puisse accorder la Palme d'Or à ce film, publiant une tribune dans Le Monde pour le dénoncer. Quand Finkielkraut verra le film, il comprendra que celui-ci cherchait seulement à faire comprendre que les Serbes ne sont pas plus mauvais que les autres, et reconnaîtra son erreur.

Mais ceci n'est qu'un accroc malheureux dans tout ce qu'il a pu écrire. La défaite de la pensée, essai publié en 1987 chez Gallimard, fut un petit événement dans le monde de la philosophie, et reste aujourd'hui LE livre à lire pour comprendre la pensée de Finkielkraut. Maniant habilement l'ironie pour dénoncer la naïveté de certains intellectuels de gauche "champions de la modernité ou apôtres de la différence". Il est important ici de bien comprendre la nuance : Finkielkraut n'est pas un conservateur refusant la modernité ou la différence, mais il défend simplement qu'on puisse l'être ; il ne s'attaque pas à des courants de pensée, mais se révolte contre le fait que la bien-pensance commande de considérer toutes les réflexions sur le même plan : tout est aujourd'hui considéré comme pensée (valable), même les pires idées : c'est ceci que Finkielkaut appelle la défaite de la pensée. On touche ici ce qui fait que Finkielkraut est tant critiqué par cette bien-pensance : quand celle-ci désigne comme intolérants ceux qui ne pensent pas comme elle, il lui répond "vous refusez que l'on pense différemment de vous, c'est vous qui êtes intolérants", et elle en déduit dans un raisonnement manichéen que Finkielkraut est un mal pensant. Mais, au contraire si Finkielkraut s'attaque tant à certains gens se réclamant de gauche, ce n'est pas pour faire la promotion de valeurs de droite : il se considère lui-même "plutôt de gauche", et défend donc son idée de la gauche, défendant la culture et l'éducation, attaché aux notions de République et de nation, combattant pour la tolérance, refusant la bien-pensance manichéenne.

Prolongeant les pensées d'Hannah Arendt et d'Émmanuel Levinas, il applique ses principes dans ses sujets de prédilection : la culture, l'enseignement, la question juive, le conflit israélo-palestinien. Il défend notamment une certaine idée de l'école : celle qui élève le niveau des élèves, qui les forme à la réflexion, qui les éveille à la culture (je vous conseille à ce sujet Le premier homme d'Albert Camus, qui vous permettra de comprendre comment, grâce à l'école, grâce à un instituteur qui avait décelé en lui les prémices de son talent, ce jeune garçon d'une famille pauvre de la banlieue d'Alger a pu devenir Prix Nobel de littérature). Il est donc en réaction contre l'école d'aujourd'hui, cette école qui ne forme plus les élèves à être des hommes mais des employés, qui ne forme plus à la critique de soi-même mais à la critique des autres, qui ne consacre que quelques heures à l'éducation civique alors que ce devrait être primordial, qui retire peu à peu toute culture, considérée comme superflue, de ses programmes : le grec a presque disapru des collèges et lycées, le latin ne devrait pas tarder à connaître le même sort ; le rapport Thélot préconisait même d'enseigner aux élèves "l'anglais de communication" parce que cela est essentiel pour la vie active, cela en éliminant des cours tout ce qui est consacré à la civilisation anglaise.

Finkielkraut est aussi particulièrement disert lorsqu'il traite de la question juive et de l'antisémitisme, et du problème relié qui est le conflit israélo-palestinien. Il fût l'un des premiers à dénoncer la nouvelle vague antisémite que connaît la France depuis le début de notre siècle, dénoncant notamment les dérapages du courant altermondialiste. Les juifs qui faisaient partie de ce mouvement l'ont quitté, les catholiques s'y retrouvent de moins en moins. Pourquoi ? Les leaders altermondialistes sont pro-palestiniens, ce qui est leur droit le plus total, mais excusent les terroristes palestiniens (qui tuent des israéliens innocents juste parce qu'ils sont juifs) et l'antisémitisme (Bové, Dieudonné, Tariq Ramadan, tous ont tenu des propos antisémites) : lorsque des juifs en kippa se font agresser dans une manifestation altermondialiste (où certains portent des pancartes avec affirmant que l'étoile de David égale la svastika nazie) à laquelle ils participaient, les leaders ne le condamnent que du bout des lèvres, en rappelant que les manifestations pro-israéliennes connaissent aussi des dérapages (verbaux), et que les palestiniens souffrent (en clair, pour eux, un juif, c'est presque un israélien, et un israélien c'est -toujours selon eux- un méchant). Le pire étant que des association soi-disant anti-racistes, proches de l'extrême-gauche, le MRAP et la Ligue des Droits de l'Homme, qui font partie de ce mouvement altermondialiste, ferment les yeux sur l'antisémitisme dès lors qu'il est commis par un pro-palestinien (mais n'ont aucun mal à le condamner lorsqu'il vient de l'extrême-droite). On l'a vu, le raisonnement des leaders altermondialistes est particulièrement simpliste. Par conséquent, lorsque Finkielkraut, partisan engagé de la paix en Israël (il est notamment un des porte-parole en France de l'association La Paix maintenant, les amis de Shalom Arshav, et a été l'un des principaux promoteurs français du protocole de paix de Genève proposé fin 2003) refuse d'être le "bon juif" des anti-sionnistes, celui qui leur permettrait d'insulter encore plus les autres juifs, et refuse de voir en Sharon le mal absolu, ceux-ci le décrètent tout simplement sioniste (et dans leur raisonnement, le sionisme, doctrine qui vise uniquement à permettre aux Juifs de s'installer sur la terre d'Israël -en offrant notamment la nationalité israélienne aux immigrants juifs qui le souhaitent-, est un racisme), supporter de Sharon, etc. Ce qui est une erreur : certes, Finkielkraut a, comme la plupart des Juifs, un attachement atavique pour Israël, mais cela ne va pas plus loin : lui qui est proche des travaillistes israéliens, il est un des premiers à critiquer, lorsque cela est jusitifié, la politique de Sharon. Il me semble personnellement évident que le fait que Sharon décide d'évacuer la bande de Gaza est une bonne nouvelle, qui créera à coup sûr un précédent pour l'évacuation de la Cisjordanie selon le protcole de Genève ("From Geneva to Gaza, from Gaza to Geneva"), mais cela semble trop dur à reconnaître pour les altermondialistes… Puisque j'ai les mêmes positions que Finkielkraut sur le conflit israélien, et que comme lui, si j'avais été citoyen américain, j'aurais voté Kerry, mais qu'"entre Bush et les anti-américains, je choisis Bush", je me ferais certainement cataloguer de la même manière comme sionniste si je n'étais pas catholique !!

Il n'est pas aisé de se faire comprendre des esprits manichéens bornés. Ceux-ci sont plus sensibles au discours d'un Dieudonné, qui déteste Finkielkraut, qui déclame qu'Al Manar (la chaîne du Hezbollah libanais qui diffuse des feuilletons antisémites et glorifie les terroristes palestiniens comme des martyrs) est une très bonne chaîne, et qu'on l'a censuré uniquement parce qu'elle critiquait Israël, et qui profite du flou qu'il y a dans la tête des gens autour d'Israël et des Juifs, pour passer d'un soutien légitime à la cause palestinienne à des attaques intolérables contre les juifs français (qu'il a qualifié d'"anciens négriers reconvertis dans la banque, la finance et l'action terroriste" dans le Journal du Dimanche). Il ne faut cependant pas laisser l'entière parole aux simplistes. Il faut au contraire s'atteler à combattre leur discours. Sur le fait que la France se soit félicitée de l'unité du monde arabe derrière la France lorsque Chesnot et Malbrunot ont été pris en otage, malgré les soutiens gênants des terroristes du Hamas (le jour-même où cette organisation revendiquait un attentat anti-israélien à Beer-sheva ayant fait 16 morts dont un enfant de cinq ans) et du Hezbollah, il a eu cette phrase que j'ai trouvé très juste : "Plus on est Pétain, plus on se la joue De Gaulle".

Vous pouvez retrouvez Alain Finkielkraut le samedi matin entre 9h10 et 10h dans Répliques, l'émission qu'il anime sur France Culture, et dans Qui-vive, l'émission hebdomadaire qu'il fait sur la radio juive RCJ (avec Ilana Cicurel).

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